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#682 Les objections d'Ehrman concernant la découverte du tombeau vide par des femmes

May 22, 2020
Q

Cher Dr Craig,

Votre réponse à la Q&A #676 concernant la théorie du complot et votre excellente réfutation de cette théorie obsolète m'ont amené à réfléchir à une autre question. Il s'agit du procès sur l'historicité du tombeau vide.

L'une des preuves les plus convaincantes en faveur du tombeau vide est que les disciples hommes (ou les auteurs de l’Évangile) n'auraient pas monté de toutes pièces une histoire dans laquelle ce sont des femmes qui découvrent le tombeau vide. Récemment, je suis tombé sur un article sur le blog de Bart Ehrman (daté du 22 octobre 2019) concernant cet élément de preuve (il y renie sa position précédente où il affirmait que le tombeau vide était un fait historiquement) et je me demande quelle réponse je pourrais donner à son explication.

Il se pose la question de savoir pourquoi quelqu'un aurait inventé une histoire avec des femmes au tombeau puis il offre à sa question plusieurs éléments de réponse possibles. La première chose qu'il observe est que, bien entendu les femmes n'étaient pas des témoins admis dans les tribunaux juifs, mais les récits évangéliques ne sont pas des tribunaux juifs. Par ailleurs, il pense qu'une possibilité serait que ce soit des conteuses qui auraient inventé cette histoire de femmes découvrant le tombeau vide. Il cite plusieurs passages de la Bible qui prouvent que les femmes ont joué un rôle important dans le ministère de Jésus ainsi que dans l'Église primitive, de sorte que l'idée que des femmes aient contées cette histoire n'est peut-être pas si farfelue. Il affirme également que dans ce contexte, le fait que les témoins soient des femmes étaient logique du point de vue historique, car c'était la responsabilité des femmes de préparer le corps pour l'ensevelissement, donc un récit selon lequel elles ont trouvé le tombeau vide alors qu'elles venaient oindre le corps est logique. Il soutient ensuite qu'il est probable que les disciples hommes ont tous fui lors de l'arrestation et de la crucifixion de Jésus, de sorte que l'invention des femmes découvrant le tombeau vide pourrait aussi correspondre à ce souvenir collectif de désertion.

La première chose à laquelle j'ai pensé en lisant ce billet de blog était qu'une approche minimale des faits pour établir l'historicité de la résurrection ne nécessitée pas d'avoir obligatoirement le tombeau vide pour rendre crédible la résurrection. L'excellent livre du Dr Michael Licona sur l'historicité de la Résurrection me l'a bien fait comprendre. Ainsi, même si les objections du Dr Ehrman sont des raisons convaincantes pour douter de l'historicité de la découverte du tombeau vide par des femmes, cela ne compromet en rien le dossier de la Résurrection lui-même.

Contrairement à l'auteur de la Q&A #676, je pense que les arguments en faveur de la Résurrection sont si forts qu'une seule objection à un seul élément de preuve, même si l’objection est puissante, ne défait pas la solidité de l'ensemble du dossier. Qui plus est, après avoir lu et examiné la liste des raisons de Dale Allison en faveur du tombeau vide dans son livre "Resurrecting Jesus", je dois dire qu'il y a d'autres bonnes raisons de penser que le tombeau vide est un fait historique. En particulier, l'ensevelissement effectué par Joseph d'Arimathie, et votre défense à travers l'historicité de ce respectable ensevelissement, est un élément de preuve très solide.

Cela dit, étant donné que je trouve que les témoins féminins constituent un élément de preuve très solide, j'ai envisagé certaines réfutations possibles au raisonnement d'Ehrman. En réfléchissant davantage aux arguments spécifiques d'Ehrman, je pense avoir perçu certaines des failles. Le premier problème est que, même si ce sont des femmes qui ont conté l'histoire de la découverte du tombeau vide par des femmes, c'est très probablement un scribe masculin qui a dû écrire le récit de la Passion ainsi que celui du tombeau vide. Étant donné que la liste des témoins de Paul en 1 Corinthiens 15 : 3-8 exclut toute femme, pourquoi devrions-nous penser que les hommes alphabétisés chrétiens de l'Église primitive auraient écrit cette histoire provenant de conteuses, d'autant plus que l'histoire faisait des femmes les témoins du tombeau vide et de la Résurrection ?

Ses deux autres objections, à savoir qu'il était logique que ce soit des femmes en premier qui visite le tombeau et de plus que les disciples hommes avaient très certainement fui, ne font finalement que renforcer la crédibilité de l'historicité du fait que ce sont des femmes qui ont découvert le tombeau vide. C'était tout à faire normal pour elles d'aller au tombeau pour oindre le corps et puis de toute manière les hommes s'étaient enfuit pour aller se cacher. Ajoutées aux autres preuves en faveur du tombeau vide (comme l'ensevelissement par Joseph d'Arimathie, etc.), je pense qu'il est beaucoup plus probable de considérer que les femmes aient réellement découvert le tombeau vide. Je n'arrive pas à trouver des réponses plus pertinente à cette objection qui me semble toujours valable.

Du coup, mes questions pour vous sont : pensez-vous que ce mes réfutations sont suffisamment pertinente pour réfuter le raisonnement d'Ehrman concernant la non-historicité du tombeau vide ? Et comment de votre côté vous répondriez au raisonnement d'Ehrman ? Bien que cela n'ait pas entraîné pour moi une perturbation de ma foi, j'aimerais être en mesure de donner une réponse solide si cette question devait surgir dans une situation apologétique. Avec mes remerciements.

Brandon

United States

Dr. Craig

Dr. craig’s response


A

C'est tellement réconfortant pour moi, Brandon, de recevoir une lettre d'une personne qui, au lieu de s'effondrer dans le doute ou le désespoir à cause d'une objection qu'il a rencontrée, réagit avec un esprit critique, en analysant l'objection à la recherche de faiblesses et en pesant ses conséquences dans le cas où l'objection s'avérait exact. C'est le modèle de pensée critique chrétienne que l'église se doit de manifester aujourd'hui !

Je pense que j'ai quelques observations utiles que l’on peut rajouter à votre judicieuse analyse.

Tout d'abord, vous avez raison de souligner que même dans le pire des scénarios, cette objection ne remet pas du tout en cause l'historicité du tombeau vide (ni même la découverte du tombeau vide par des femmes). Elle supprimerait tout au plus un élément de preuve positif dans le cadre du dossier du tombeau vide, mais qui au vu du nombre d'éléments dont dispose, ne modifierait pas sa conclusion du fait de la perte de l’élément en question. En effet, dans un dossier basé sur des preuves cumulées, tel que ceux qui peuvent exister dans le domaine judiciaire, aucun élément de preuve en lui-même ne peut suffire à déterminer la condamnation ou non de l'accusé, mais c'est la force cumulative de tous ses éléments pris ensemble qui permet d'émettre un jugement hors de tout doute raisonnable. Ainsi, bien que vous ayez raison de dire que l'historicité de la résurrection de Jésus n'a pas besoin de faire appel au tombeau vide, nous n'avons pas besoin d'aller jusque-là, puisque de toute manière l'objection que l'on traite n'est pas suffisante pour mettre doute l'historicité du tombeau vide. En effet, l'objection ne conteste pas le fait que des femmes ont découvert le tombeau vide ; elle affirme simplement que la position des femmes à cette époque n'est pas une preuve de la crédibilité historique du récit, contrairement à ce que soutiennent la plupart des spécialistes.

La plupart des spécialistes pensent que la découverte du tombeau vide par des femmes est probablement historique car tout récit légendaire ultérieur aurait probablement fait découvrir le tombeau vide par des hommes plutôt que par des femmes, car elles n'étaient pas considérées comme des témoins crédibles dans la société juive et occupaient un rang de subordination aux hommes dans cette société de type patriarcale. Cette conviction académique est résultante du critère de l'embarras ecclésiastique. Selon ce critère, un événement ou une parole de Jésus qui se révèle embarrassant ou qui a pu poser des problèmes à la communauté primitive chrétienne a plus de probabilité d'être historique que s’il n'avait pas été embarrassant. Parmi les exemples du critère de l'embarras, nous pouvons citer le baptême de Jésus par Jean-Baptiste ou encore le fait que Pierre a renié Jésus. De la même manière, une histoire légendaire selon laquelle des femmes seraient les principaux témoins d'un fait aussi important que le tombeau vide de Jésus n'est pas probable.

J'ai d'ailleurs reproché à Bart Ehrman de constamment enfreindre les critères d'authenticité (pour en savoir plus [EN] : https://www.youtube.com/watch?v=e4spvyiywrc).  Il commence par les déformer, puis poursuit en les appliquant d'une mauvaise manière. Votre résumé de son récent article m'indique qu'il n'a pas encore remis de l'ordre dans sa réflexion. Il confond la probabilité du récit lui-même avec la probabilité que ce récit fut une invention. Ce sont deux choses bien différentes. Le critère de l'embarras ne cherche pas à confirmer qu'une histoire en particulier soit probable ou non. Au contraire, l'histoire en elle-même peut être tout à fait probable. Par exemple, il n'y a rien d'improbable dans le fait que Pierre a renié Jésus. Compte tenu de son tempérament fougueux et de sa confiance excessive, il n'est pas improbable qu'une telle histoire ait eu lieu. Par contre, ce qui est improbable, c'est qu'une telle histoire d'apostasie soit le fruit d'une invention rapide ou progressive au sein de l'église primitive, alors qu'elle n'est pas vraie. Vous voyez la différence ? Ce qui est en question dans le critère de l'embarras n'est pas la probabilité d'une histoire, mais sa nature embarrassante ou contre-productive, qui fait qu'il est peu probable qu'elle fut inventée.

En fait, Ehrman semble confondre le critère l'embarras avec un autre critère, le critère de vérisimilitude (que l'on nomme aussi critère de cohérence ou de conformité). La vérisimilitude est un mot de sophistiqué pour dire que la proposition du récit est « conforme au fait », au regard de ce que nous savons de la culture de cette époque. Ce que dit Ehrman, en effet, c'est que le récit des femmes allant au tombeau de Jésus présente une vérisimilitude : les femmes juives à cette époque allaient aux tombeaux des défunts afin d'oindre leur corps [1].Ehrman semble penser que la vérisimilitude soit incompatible avec l'embarras ecclésiastique.

Mais cela nous démontre à quel point le raisonnement d'Ehrman est poreux. Comment peut-on remettre en cause l'historicité du récit en montrant finalement qu'elle passe avec succès non pas un, mais deux critères d'authenticité ? Le récit présente une vérisimilitude et un embarras. Le récit est donc d'autant plus crédible sur le plan historique.

Pourquoi donc la plupart des spécialistes se tromperaient-ils en pensant qu'au vu de sa nature embarrassante, le récit a peu de chances d'être légendaire ou imaginaire ? Comme le souligne Dale Allison, dont vous mentionnez l'excellent ouvrage, toute explication imaginable concernant l'inclusion des femmes dans le récit trouverait une meilleure explication s’il s’agissait d'hommes.

(1) « Bien entendu les femmes n'étaient pas des témoins admis dans les tribunaux juifs, mais les récits évangéliques ne sont pas des tribunaux juifs. » Quelle sottise ! Personne ne prétend le contraire. Au vu de l’ancienneté du récit de la passion pré-marcien, qui mentionne l'histoire du tombeau vide, le récit trouve ses racines dans un cadre culturel juif, dans lequel les éléments que j'ai mentionnés interviennent.

(2) « Les conteuses auraient inventé cette histoire de femmes découvrant le tombeau vide. » Quel humour ! Personne ne prétend que le récit provenait de conteurs masculins. Mais des conteuses féminines auraient eu exactement les mêmes raisons que des conteurs masculins de vouloir attribuer la découverte du tombeau vide à des hommes, à savoir l’objectif d’augmenter la crédibilité du récit du tombeau vide.

« Dans ce contexte, le fait que les témoins soient des femmes étaient logique du point de vue historique, car c'était la responsabilité des femmes de préparer le corps pour l'ensevelissement, donc un récit selon lequel elles ont trouvé le tombeau vide alors qu'elles venaient oindre le corps est logique. » Cette objection est basée sur une confusion entre la vérisimilitude et l'embarras, comme expliqué précédemment. Et d'ailleurs, puisque le récit présente une vérisimilitude, pourquoi Ehrman ne le juge-t-il pas historique ? En fait, Ehrman s'est lui-même mis dans la tête que : soit le récit a une vérisimilitude, soit il est embarrassant ; mais les deux ensembles ne seraient pas possibles. Dans tous les cas, la probabilité de l'historicité est renforcé que soit par l'un ou l'autre ou les deux.

(4) « Il est probable que les disciples hommes ont tous fui lors de l'arrestation et de la crucifixion de Jésus, de sorte que l'invention des femmes découvrant le tombeau vide pourrait aussi correspondre à ce souvenir collectif de désertion. » Oh, la vache ! Il s'agit d'un racontar qui a été rejeté à juste titre comme « une critique légendaire ». Les érudits libéraux cherchaient à nier l'historicité du tombeau vide et les apparitions de Jésus à Jérusalem après sa résurrection, et pour cela ils ont interprété Marc 14.50 « Et tous l'abandonnèrent et s'enfuirent » comme signifiant que les disciples s'étaient enfuis jusqu'en Galilée lors de l'arrestation de Jésus dans le Jardin ! Cette hypothèse imaginaire va à l'encontre de la tradition selon laquelle les disciples étaient encore à Jérusalem ce week-end. Je pense en particulier à la tradition de l'acte de reniement de Pierre, qui passe non seulement le critère de l'embarrais mais probablement aussi le critère d'attestations multiples. Le fait qu'Ehrman adopte cette hypothèse montre à quel point ses recherches sont tendancieuses. De toute façon, comme l'explique Allison, une construction légendaire ne se soucierait pas de savoir si les disciples avaient fui ; car même si c'était le cas, une légende basée sur des hommes qui découvrent en premier le tombeau vide aurait pu naître. Mais les légendes hypothétiques ont été devancées par la tradition antérieure de la découverte du tombeau vide par des femmes.

Donc, oui, Brandon, je pense que plusieurs de vos réactions sont tout à fait justes, et je vous félicite pour votre capacité à réfléchir à ces questions de manière sereine et critique.

 


[1] J'espère qu’Ehrman ne va pas reprendre la vieille rengaine consistant à dire que les femmes étaient en partie chargés de l'ensevelissement de Jésus, en allant terminer l'ensevelissement incomplet de Jésus par Joseph d'Arimathie. Il n'y a aucune raison de penser que l'ensevelissement effectué par Joseph n'était pas terminée. L'une des caractéristiques frappantes du récit de l'ensevelissement qui témoigne de sa véracité est que Jésus n'est pas mis au tombeau par sa famille ou ses disciples (comme le montre la scène de la Pietà) mais par ses ennemis. En tant que membre du Sanhédrin qui a fait condamner Jésus, Joseph a dû descendre le corps de la croix et l'enterrer avant la tombée de la nuit, de peur que la nation, selon la pensée juive, ne soit souillé. Le fait que Jésus ait été enseveli par ses ennemis plutôt que par ses disciples est si embarrassant pour la communauté chrétienne primitive qu'il est très probable que ce soit vrai, selon l'avis de la grande majorité des spécialistes du domaine. Les femmes s'y rendent, non pas pour finaliser l'ensevelissement de Jésus, mais, comme c'était la coutume, pour oindre le corps d'huiles aromatiques.

- William Lane Craig