back
05 / 06
bird bird

#686 Langage et absurdités

July 10, 2020
Q

Bonjour Dr Craig,

Nous sommes en train d’étudier Rorty et Nietzsche en cours de philosophie politique. Mon professeur défend une vision nominaliste du langage (c'est-à-dire que le langage est une invention humaine). Je suis d'accord pour dire que le langage n’a pas d’existence indépendamment de l’utilisation qu’en fait l’homme. Cependant, à partir de cela, mon professeur soutient qu’on ne peut affirmer une quelconque vérité étant donné que cet usage humain implique de décrire un monde cohérent. Je ne suis absolument pas d'accord avec lui mais j'ai beaucoup de mal à trouver une réponse pertinente face à cela. J'ai parcouru votre site de long en large pour essayer de trouver des éléments de réponses mais sans succès. Merci.

Ayo

États-Unis

United States

Dr. Craig

Dr. craig’s response


A

Bonjour Ayo,

Je ne sais jamais si ce que les étudiants me rapportent concernant leurs cours provient d’une incompréhension de leur part ou s’il s’agit exactement de ce que leurs professeurs enseignent. Je dois dire que je suis souvent scandalisé d’entendre certains enseignements que des étudiants me remontent provenant de mes collègues professeurs.

Ce que vous me rapportez comme étant le propos de ce professeur est tout simplement incohérent. Comment peut-on argumenter sans détour dans un cours (qui est, bien sûr, un événement linguistique), qu'« il ne peut y avoir de vérité » en raison de la conventionnalité du langage ? Cette affirmation n'est-elle pas faite en français, qui est une langue ? Cette affirmation ne peut donc être une vérité ! Sa position est donc auto-contradictoire. Il aurait pu tout aussi bien énoncer un charabia à la place, car cela aurait le même degré de vérité étant donné qu’aucune vérité émane du langage.

Bien entendu que la langue est conventionnelle. Des langues différents peuvent attribuer des définitions différentes à un même mot. Par exemple, « pain » en anglais signifie « souffrance », ce qui est totalement différent de sa signification française. Mais si, en tant que francophone, je déclare : « Je mange du pain » le sens de ce que j’affirme est claire, compte tenu des conventions de la langue française. Le francophone et l'anglophone peuvent, s’ils le souhaitent, dire la même chose, bien que leur façon de le dire sera différent. Si je mange réellement du pain, alors ce que j'affirme en disant « Je mange du pain » est une vérité. Il n'y a aucun argument permettant de passer de la conventionnalité du langage au fait qu’il n’existerait pas de vérité.

Dans un sens, je suis d'accord pour dire que la vérité n’est pas une chose qui existe. En effet, la vérité n'est pas une chose, comme un électron ou une personne. Le prédicat « est vrai » est un élément d'ascension sémantique, une façon de parler d'une déclaration plutôt qu’une façon de réaliser la déclaration elle-même. Par exemple, au lieu de dire : « Donald Trump est le président des États-Unis », je peux faire une ascension sémantique en disant : « C'est vrai que Donald Trump est le président des États-Unis ». Le prédicat « est vrai » est surtout utile dans les soi-disant attributions de vérité aveugle, situations dans lesquels nous ne savons pas avec précision ce qui est entendu dans l’affirmation. Par exemple dans les phrases du type : « Tout ce qui figure dans les documents classifiés est vrai » ou « Tout ce que le Pape a dit est vrai ». Cependant, ce cas précis n’a aucune influence sur le fait que l’argumentation de votre professeur soit et reste autocontradictoire.

En termes de ressources disponibles, vous pourriez regarder mon intervention « Are There Objective Truths about God? » ainsi que mon article « Propositional Truth—Who Needs It? »

- William Lane Craig