back
05 / 06
bird bird

#684 La théorie du commandement divin et la substitution pénale

June 04, 2020
Q

Bonjour Dr Craig,

Je suis un grand fan et je suis fier d'être le deuxième directeur certifié « chapter » au Mexique. Je suis ravi de pouvoir vous partager que l'impact de l'apologétique en Amérique latine est en pleine croissance et c'est principalement dû à la disponibilité récente de vos ressources en espagnol. Dieu soit loué !

J'ai une question concernant la compatibilité entre la théorie de l'expiation pénale (TSP) et la théorie du commandement divin. À la page 67 de votre livre The Atonement, vous proposez une formulation de l'objection habituelle concernant la substitution pénale :

1. Dieu est parfaitement juste.

2. Si Dieu est parfaitement juste, il ne peut pas punir une personne innocente.

3. Donc, Dieu ne peut pas punir une personne innocente.

4. Christ était une personne innocente.

5. Donc, Dieu n'a pas pu punir Christ.

6. Si Dieu n'a pas pu punir Christ, alors la théorie de la substitution pénale est fausse.

Il en découle donc que si Dieu est parfaitement juste, la théorie de la substitution pénale est fausse.

En ce qui concerne la prémisse (2), vous répondez que nous devons contextualiser cette objection dans le cadre d'une théorie métaéthique sur les fondements des valeurs et devoirs moraux objectifs. Vous adoptez la théorie du commandement divin, dans laquelle les devoirs moraux sont constitués par les impératifs divins, il n'y a donc pas de loi morale extérieure à Dieu que Dieu devrait suivre. Il n'a pas de devoirs moraux à remplir. Il peut agir de toutes les manières possibles correspondant à sa nature. Dans votre réponse concernant le dilemme d'Euthyphron, vous affirmez que « les commandements de Dieu à notre égard ne sont pas arbitraires, ni fondés sur quelque chose d'indépendant de Dieu. Au contraire, Dieu lui-même est le paradigme de la bonté. » A un autre endroit, vous affirmez aussi : « Les devoirs moraux sont fondés sur Sa volonté ou Ses commandements […] Sa volonté n'est pas indépendante de sa nature mais doit exprimer sa nature. » Sa volonté et ses commandements doivent refléter sa nature, donc la TSP, si elle est vraie, implique qu'il est conforme à la nature de Dieu d'infliger une peine à une personne innocente (si ce n'était pas le cas, alors la TSP serait fausse).

Vous avez cité Hugo Grotius qui a dit : « Même si Dieu a établi un système judiciaire pour les êtres humains qui interdit la punition des innocents (et, par conséquent, une punition de substitution), Il ne se l'est pas interdit à Lui-même. » Nous avons établi que ce système de justice reflète la nature de Dieu, puisque Ses commandements et Sa volonté divine sont le reflet de sa nature.

Il semblerait que vous voulez avoir le beurre et l'argent du beurre. D'une part, la TSP implique qu'il est conforme à Sa nature de punir des innocents. Mais d'autre part, compte tenu de ses commandements adressés à l'humanité, il est conforme à sa nature d'interdire de punir des personnes innocentes. Comment peut-on ne pas tomber dans la contradiction en affirmant que la nature de Dieu permet de punir une personne innocente (en conséquence de la TSP), bien qu'en même temps Sa nature l'interdit (en conséquence du système judiciaire humain / Ses commandements) ?

Cela me rappelle la citation de C.S. Lewis : « Si le jugement moral de Dieu diffère du nôtre de sorte que notre "noir" soit Son "blanc", nous ne signifions rien lorsqu'on l'appelle bon, car dire "Dieu est bon", tout en affirmant que Sa bonté est tout à fait différente de la nôtre, revient en fait à dire "Dieu est on ne sait quoi". » Si notre noir est « punir l'innocent est une erreur », et que le blanc pour Dieu est « punir l'innocent n'est pas une erreur », alors C.S. Lewis a raison (au moins d'une certaine manière). Est-ce que je passe à côté de quelque chose ?

Que Dieu vous bénisse, vous et Jan !

Raul

Mexique

Mexico

Dr. Craig

Dr. craig’s response


A

Raul, je vous remercie pour votre message ainsi que pour le formidable travail que vous faites en Amérique latine hispanophone !  Cela a été une bénédiction totalement inattendue.

La pertinence de la théorie du commandement divin en matière d'éthique pour répondre à l'objection récurrente concernant la théorie de la substitution pénale m'a fermement convaincu suite à ma réflexion sur ce sujet. Qui dit qu'il serait injuste de la part de Dieu de punir un innocent ? De même que Dieu était libre d'ordonner à Abraham de tuer son fils innocent Isaac, de même Dieu pourrait également punir une personne innocente. Puisque Dieu n'a pas d'obligations morales à remplir et qu'Il détermine lui-même ce qui est bien ou mal, juste ou injuste, cette objection classique concernant la substitution pénale ne peut pas commencer sans aborder le fondement méta-éthique des obligations morales. Quelle théorie est donc présupposée par les opposants à la TSP ? Cette question n'est jamais évoquée par les critiques contemporains.

Supposons que Dieu ait ordonné aux humains de ne pas infliger des punitions à un innocent, de la même manière qu'Il leur a ordonné de ne pas tuer un innocent. Tout comme Dieu lui-même peut choisir en une occasion particulière d'ôter la vie à une personne, il peut aussi choisir en une occasion particulière de punir un innocent. Il n'est pas lui-même assujetti aux règles qu'Il a établies pour les humains. Y a-t-il une contradiction ici ? Vous dites : « D'une part, la TSP implique qu'il est conforme à Sa nature de punir des innocents. » Mais d'autre part, [...] il est conforme à sa nature d'interdire de punir des personnes innocentes. Comment peut-on ne pas tomber dans la contradiction en affirmant que la nature de Dieu permet de punir une personne innocente [...] et en même temps [...] Sa nature l'interdit ? » Vous avez instauré, ici, une fausse dichotomie. Par analogie, il est conforme à ma nature d'interdire à mes petits enfants d'aller seuls au parc, mais il est également conforme à ma nature que j'aille moi-même seul au parc. Une autre analogie encore plus proche de notre cas : il est conforme à ma nature que j'interdise à mes enfants de se punir les uns les autres, mais il est également conforme à ma nature que je (ou Jan) les punisse. Il n'y a aucune contradiction à ce que Dieu ne soit pas assujetti aux règles qu'il établit pour les humains.

Cela étant, Lewis a tout à fait raison de dire que nous voulons que lorsque nous affirmons « Dieu est bon », le terme « bon » ait le sens que nous lui donnons communément. Ainsi, la théorie non-volontariste du commandement divin soutient que si les devoirs moraux sont établis par les commandements ou la volonté de Dieu, les valeurs morales sont déterminées par le caractère intrinsèque de Dieu. Dieu est nécessairement aimant, bon, généreux, etc. Y a-t-il donc quelque chose dans le caractère intrinsèque de Dieu qui l'empêcherait de punir une personne innocente ? Concédons, pour jouer le jeu de l'objection, que la bonté intrinsèque de Dieu ne lui permettrait pas de punir une personne innocente humaine. Mais en serait-il de même pour la punition d'une personne innocente divine ? La réponse est loin d’être évidente ! Comme je l'écris dans The Atonement : « Quoi de plus cohérent concernant la nature gracieuse de notre Dieu que sa volonté de se charger de notre humanité fragile et déchue et de donner Sa vie pour satisfaire les exigences de sa propre justice ? Le sacrifice de Christ, qui se donne lui-même, exalte la nature de Dieu en manifestant son saint amour. » (p. 70). Je ne vois rien dans la nature de Dieu qui l'empêcherait de faire un tel sacrifice de Lui-même pour nous.

- William Lane Craig

- William Lane Craig