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La naissance de Dieu

Résumé

Est-il logique de dire que Noël marque la naissance de Dieu ? Cette question renvoie aux principaux débats théologiques des IVe et Ve siècles : comment Jésus-Christ peut-il être considéré à la fois comme humain et comme divin ? Le Dr Craig nous fait part de sa compréhension sur la façon dont les natures divine et humaine de Jésus se rejoignent en une seule personne, sur la profondeur et la signification de ses fragilités et de ses expériences humaines, et sur la façon dont on peut de manière cohérente célébrer la « naissance de Dieu » durant la fête de Noël.

Quelqu’un m’a demandé un jour de traiter le sujet de « La naissance de Dieu ». Cette expression est déroutante tant elle semble hors de sens. Comment Dieu, le Créateur, Lui-même non créé, peut-il avoir eu une naissance ? Comment un être qui existe et qui est éternel, le créateur du temps et de l'espace, peut-il naître ? Cela ne semble pas avoir le moindre sens.

Et pourtant, à Noël, c'est, d'une certaine manière, précisément ce que les chrétiens célèbrent. La doctrine chrétienne de l'incarnation affirme que Jésus-Christ est Dieu incarné. Jésus était donc vraiment Dieu ET vraiment homme. Il est né de la vierge Marie, c'est-à-dire que Jésus a eu une conception surnaturelle, mais une naissance parfaitement naturelle. Puisque Jésus était Dieu dans la chair, sa mère Marie est donc appelée dans les premiers crédos chrétiens « la mère de Dieu », ou « la porteuse de Dieu ». Cette appellation ne signifie pas que Marie ait été en quelque sorte la créatrice de Dieu. Marie est appelée la porteuse de Dieu parce que la personne qu'elle a portée dans son sein et à laquelle elle a donné naissance était divine. Ainsi, la naissance de Jésus, dans ce sens, était la « naissance » de Dieu.

Mais cela ne nous aide pas à résoudre le prétendu problème. Comment Jésus peut-il être à la fois Dieu et homme, comme le croient les chrétiens ? N’est-ce pas là une formidable contradiction ?! Les propriétés d'un être divin et celles d'un être humain ne semblent-elles pas s'exclure mutuellement ? Dieu existe par Lui-même. Il est nécessaire, éternel, tout-puissant, omniscient, omniprésent, etc. Alors que les êtres humains, quant à eux, sont créés, dépendants, limités dans le temps et dans leur puissance, leur connaissance et leur espace. Alors comment une personne peut-elle être à la fois humaine et divine ?

La Bible décrit Jésus comme étant à la fois humain et divin

S’il existe des chrétiens, qui, préoccupés par cette question, seraient tentés d'éviter le problème simplement en niant que Jésus était vraiment humain ou vraiment divin, permettez-moi de leur dire que la Bible ne nous laisse pas le choix. Le Nouveau Testament affirme à la fois la divinité et l'humanité de Jésus-Christ et nous contraint donc de faire face à ce dilemme. Prenez, par exemple, le chapitre d'ouverture de l'évangile de Jean. Les évangiles de Matthieu et de Luc s'ouvrent sur l'histoire de la conception surnaturelle et de la naissance virginale de Jésus ; mais l'évangile de Jean adopte une perspective plus profonde, dans laquelle il décrit l'incarnation de la Parole de Dieu préexistante. Il écrit :

« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point reçue. Il y eut un homme envoyé de Dieu : son nom était Jean. Il vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui. Il n'était pas la lumière, mais il parut pour rendre témoignage à la lumière. Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l'a point connue. Elle est venue chez les siens, et les siens ne l'ont point reçue. Mais à tous ceux qui l'ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu. Et la Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père. Jean lui a rendu témoignage, et s'est écrié : C'est celui dont j'ai dit : Celui qui vient après moi m'a précédé, car il était avant moi.

Et nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce sur grâce ; car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. Personne n'a jamais vu Dieu ; Dieu le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui l'a fait connaître. » (Jean 1:1-18)

Alors que les générations successives au sein de l'Église primitive s'efforçaient de comprendre la doctrine de l'incarnation, certaines personnes ont décidé de résoudre cette contradiction apparente au prix de la négation de l'un ou de l'autre des axes de l'enseignement biblique.

Des groupes tels que les gnostiques ou les docètes, par exemple, ont nié que le Christ était vraiment humain. Il avait simplement une apparence de forme humaine, mais la chair de Christ n'était qu'une illusion ou un déguisement, et ses souffrances supposées n'étaient qu'apparentes. À l’inverse, des groupes comme les adoptistes ou les eutychiens ont nié la divinité du Christ. Jésus de Nazareth n'était qu'un homme mortel que Dieu avait adopté comme son Fils et qu’Il avait élevé au ciel. En opposition à ces divers groupes, l'église primitive a condamné à plusieurs reprises comme hérétique toute négation de l'humanité ou de la divinité de Christ. Aussi contradictoire ou mystérieux que cela puisse paraître, les théologiens ont fermement soutenu l'affirmation biblique selon laquelle Jésus-Christ était vraiment Dieu et vraiment homme.

Le débat sur la nature du Christ

Avec le temps, il a fini par apparaître au sein de l'Église primitive deux foyers de débat théologique concernant l'incarnation, l'un dans la ville d'Alexandrie en Égypte et l'autre dans la ville d'Antioche en Syrie. Les deux écoles de pensée étaient unanimes sur le fait que Jésus-Christ était à la fois humain et divin, mais chacune offrait une manière différente de comprendre l'incarnation. Permettez-moi d'essayer de les expliquer, car ces points de vue serviront de tremplin à ma propre proposition.

Les théologiens d'Alexandrie et d'Antioche présupposaient tous deux que les choses ont une nature, c'est-à-dire des caractéristiques propres qui déterminent l’essence de chacune. Le cheval, par exemple, possède une nature différente de celle du cochon, et ces deux créatures se distinguent, elles aussi, de la nature humaine. Selon le grand philosophe grec Aristote, la nature d'un être humain est d'être un animal rationnel. Cela signifie qu'un être humain est essentiellement composé d'une âme rationnelle et d'un corps physique. Cette conception de la nature humaine a été acceptée par les théologiens d'Alexandrie et d'Antioche. De plus, selon cette conception, Dieu a également une nature qui comprend des propriétés telles que l'éternité, la toute-puissance, l'omniscience, l’aséité, etc.

Cependant, la question qui divisait Alexandrie et Antioche pourrait se résumer de la manière suivante : Jésus-Christ avait-il une ou deux natures ? Les théologiens d'Alexandrie ont soutenu que le Christ incarné avait une seule nature alliant à la foi des caractéristiques divines et humaines. En alternative à cette école de pensée, l'une des propositions les plus ingénieuses a été offerte par l'évêque Apollinaire, mort vers 390 après J.C. Apollinaire proposait que, dans l'incarnation, Dieu le Fils, la deuxième personne de la Trinité, ait revêtu un corps humain, de sorte que Jésus-Christ ait un corps humain, mais aussi un esprit ou une âme divine. Dieu est donc venu sur Terre à travers un corps humain et souffrit dans ce corps, tout en restant exempt de péché et infaillible dans Sa personne. Le Christ avait donc une nature divine-humaine, étant donc à la fois Dieu et homme.

Les théologiens antiochiens ont attaqué le point de vue d'Apollinaire pour deux raisons. Premièrement, ils ont soutenu que, selon Apollinaire, le Christ n'avait pas une nature humaine complète. Il n'avait qu'un corps humain, mais son âme, elle, était divine. Être vraiment humain implique d'avoir un corps, mais aussi une âme humaine. Ce qui distingue l'homme de l’animal est son âme rationnelle, et non son corps physique. Les théologiens antiochiens ont donc affirmé que, selon Apollinaire, l'incarnation équivalait à ce que Dieu devienne un animal, et non un homme.

Leur deuxième objection était liée à la première. Puisque la finalité de l'incarnation était le salut de l'humanité, si le Christ ne devenait pas vraiment homme, alors le salut ne pouvait être accompli. La raison d'être de l'incarnation était, qu'en devenant l'un des nôtres et en s'identifiant à ses semblables, le Christ puisse offrir sa vie sans péché à Dieu comme une offrande sacrificielle en notre nom. Sur la croix, Jésus-Christ devenait notre substitut ; il porta la condamnation du péché que nous méritions. Jésus devint donc le Sauveur de tous ceux qui lui feraient confiance. Cependant, si le Christ n'était pas vraiment humain, alors il ne pouvait pas nous représenter devant Dieu, ce qui aurait rendu son supplice vain et vide de sens, rendant impossible le salut. En niant la pleine humanité du Christ, Apollinaire a sapé le salut par le Christ. Pour ces raisons, en l'an 377, le point de vue d'Apollinaire fut déclaré hérétique. La question qui demeure, je pense, est de savoir si le point de vue d'Apollinaire est totalement dans l’erreur ou bien s’il contenait une part de vérité précieuse que l’on pourrait conserver.

Quelle alternative les théologiens d'Antioche avaient-ils donc à proposer ? Contrairement à Alexandrie, les théologiens d'Antioche ont insisté sur le fait que dans l'incarnation, le Christ avait deux natures complètes, l’une humaine et l’autre divine. Ils soutenaient que Dieu le Fils, la deuxième personne de la Trinité, habitait en quelque sorte dans un être humain, Jésus, dès sa conception dans le sein de Marie. Un éminent évêque de l'école d'Antioche, Nestorius, s'est donc opposé à ce que Marie soit appelée « la porteuse de Dieu » parce qu'elle portait la nature humaine du Christ, et non Dieu. La nature humaine du Christ comprenait à la fois un corps humain et une âme humaine, qui étaient, en quelque sorte, endossés ou détenus par Dieu le Fils.

Le problème de la vision antiochienne, dans l'esprit de ses opposants alexandrins, était qu'elle semblait impliquer qu’il y ait deux personnes distinctes en Christ. Tout d'abord, il y a la personne divine, la deuxième personne de la Trinité, qui existait avant la conception miraculeuse. Après quoi il y eut la personne humaine qui fut conçue et portée par Marie. Il semble donc y avoir deux personnes, une humaine et une divine ! Nous pouvons le voir sous cet angle : une personne humaine est constituée d'un corps et d'une âme ; donc, si Jésus avait une nature humaine complète, comprenant un corps humain et une âme humaine, ne peut-on pas simplement dire qu’une personne humaine a été conçu et que simplement après le début de son existence, elle fut habitée par Dieu le Fils ? Cependant, avec une telle conception, il n'y a pas de véritable incarnation, tout ce que vous avez, c'est un être humain habité par Dieu. Le malheureux Nestorius a donc été qualifié, par ses détracteurs, de destructeur de l'unité de la personne du Christ, et ainsi son point de vue a été condamné comme hérétique en 431.

Deux natures complètes en une personne

Que faire face à cette situation ? Afin de régler le conflit entre Antioche et Alexandrie, un concile œcuménique fut convoqué à Chalcédoine en l'an 451. La déclaration publiée par le Concile est une délimitation précise et minutieuse des bornes orthodoxes concernant la doctrine de l'incarnation. Elle cherche à affirmer ce qui est correct dans les points de vue des deux écoles tout en condamnant leurs erreurs. En substance, la déclaration affirme avec Antioche la diversité des natures du Christ, mais avec Alexandrie l'unité de sa personne, à savoir une personne ayant deux natures. Lisons ensemble ce symbole de Chalcédoine :

« Suivant donc les saints Pères, nous enseignons tous unanimement que nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme (composé) d'une âme raisonnable et d'un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l'humanité, en tout semblable à nous sauf le péché, avant les siècles engendré du Père selon la divinité, et aux derniers jours le même (engendré) pour nous et pour notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon l'humanité, un seul même Christ, Fils du Seigneur, l'unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, la différence des deux natures n'étant nullement supprimée à cause de l'union, la propriété de l'une et l'autre nature étant bien plutôt sauvegardée et concourant à une seule personne et une seule hypostase, un Christ ne se fractionnant ni se divisant en deux personnes, mais en un seul et même Fils, unique engendré, Dieu Verbe, Seigneur Jésus-Christ. »

Ainsi, selon cette affirmation, le Christ est une seule personne avec deux natures, humaine et divine. Les deux erreurs à éviter sont la division de la personne et l’union des natures. Les natures sont distinctes et complètes, et la personne est une et une seule.

Nous remarquons que le symbole de ce concile ne prétend pas expliquer comment une personne peut avoir deux natures, une humaine et une divine. Cette question reste ouverte au sein du débat théologique. Cependant, ce sur quoi le Conseil insiste, c'est que si nous voulons avoir une doctrine biblique orthodoxe sur l'incarnation, nous ne devons ni diviser la personne du Christ en deux personnes ni fusionner ses deux natures en une seule.

La question est donc de savoir si cela est possible. Peut-on construire une description de l'incarnation qui soit logiquement cohérente et fidèle à la Bible ? Nombreux sont ceux qui estiment que c'est une tâche impossible. L'incarnation est soit une doctrine que l'on rejette en tant que contradiction soit que l'on accepte en tant que mystère. Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation. Je pense que nous pouvons proposer une description de l'incarnation qui soit logiquement cohérente et fidèle à la Bible. C'est ce que je vais tenter de vous présenter brièvement. Je vais développer ma position en trois étapes.

Une position rationnelle face aux deux natures de Christ

Étape 1 : Affirmer avec le concile de Chalcédoine que le Christ est une seule personne ayant deux natures. L'incarnation ne doit pas être considérée comme une transformation de Dieu en un être humain. L'incarnation est totalement différente des récits de la mythologie ancienne qui raconte que les dieux se transforment en hommes ou en animaux pendant un certain temps, puis redeviennent des dieux. Le Christ n'était pas d'abord Dieu, puis un être humain, puis Dieu à nouveau. Il était plutôt Dieu et homme simultanément. L'incarnation n'était donc pas une question de soustraction, c’est-à-dire le fait que Dieu abandonne certains attributs pour devenir un homme. L'incarnation est plutôt une question d'addition, c'est-à-dire que Dieu revêt, en plus de la nature divine, une autre nature, distincte, une nature humaine, de sorte que dans l'incarnation, Dieu le Fils a eu deux natures, l’une divine, qu'il a toujours eue depuis l'éternité, et l’autre humaine, qui a commencé au moment de sa conception dans le sein de Marie. Ainsi, il avait aussi bien tous les attributs divins et tous les attributs humains.

La question que soulève cette première étape est la suivante : comment une même personne peut-elle avoir deux natures distinctes ? C’est ce que nous allons aborder dans cette seconde étape.

Étape 2 : Affirmer avec Apollinaire que l'âme de Jésus-Christ était Dieu le Fils. Ce qu'Apollinaire a perçu avec raison, c'est que la meilleure façon d'éviter le sophisme nestorien, qui est l’affirmation de deux personnes distinctes dans le Christ, est de postuler l’existence d’un élément commun partagé par sa nature humaine et sa nature divine, de sorte que ces deux natures puisse, en quelque sorte, se rejoindre. D’après la proposition d'Apollinaire, ce dénominateur commun était l'âme de Jésus-Christ. Malheureusement, Apollinaire ne pensait apparemment pas que le Christ possédait une nature humaine complète, ce qui, comme l'ont perçu à juste titre ses détracteurs, a porté atteinte à l'humanité du Christ et à son œuvre salvatrice.

Les défaillances de la conception d'Apollinaire sont-elles irrémédiables ? Je ne le pense pas. Rappelez-vous ce qu'est la nature humaine : un animal rationnel. Puisque Dieu n'a pas de corps, il n'a pas de nature animale. Cependant, Dieu est l'esprit rationnel ultime. Par conséquent, Dieu le Fils possédait déjà avant son incarnation une personnalité rationnelle. Donc, en prenant un corps humain, Dieu le Fils a apporté au corps physique du Christ précisément les propriétés qui l'élèveraient d'une simple nature animale à une nature humaine complète, composée d'un corps animal et d'une âme rationnelle. La nature humaine du Christ ne pourrait pas exister indépendamment de son union avec Dieu le Fils ; en effet, son corps ne serait qu’un corps inerte. L'humanité du Christ naît précisément de l'union de Dieu le Fils avec son corps. Ainsi, le Christ a deux natures complètes : l’une divine, qui a préexisté de toute éternité, et l’autre humaine, qui est née dans le sein de Marie en vertu de l'union de Dieu le Fils avec la chair.

Cette reformulation annule les objections traditionnelles à l'apollinarianisme. En effet, premièrement, le Christ a bien, dans cette optique, deux natures complètes, divine et humaine, comprenant une âme rationnelle et un corps. Deuxièmement, il en résulte que le Christ est véritablement humain, et sa mort en notre nom est donc valable. Le Christ n'est pas seulement humain, puisqu'il était aussi divin, mais il était néanmoins vraiment humain et pouvait donc se présenter comme notre représentant devant Dieu, portant notre châtiment afin que nous en soyons libéré.

On avance ! Cependant, cette définition n'est pas encore totalement satisfaisante. En effet, si l'âme de Jésus-Christ était Dieu le Fils, comment pouvons-nous donner une signification cohérente aux récits bibliques de Jésus décrivant sa conscience comme authentiquement humaine, une conscience qui se développe de l'enfance jusqu’à l'âge adulte ? Notre conception actuelle n'implique-t-elle pas que Jésus était une sorte de surhomme, non soumis aux limitations humaines ? C’est ce que nous allons traiter dans cette troisième et dernière étape.

Étape 3 : Affirmer que les aspects divins de la personnalité de Jésus ont été largement submergés par sa vie terrestre. Je suggère que les éléments surhumains de la personne de Jésus étaient principalement subconscients. Cette suggestion s'appuie sur l'intuition de la psychologie des profondeurs selon laquelle la conscience d'une personne est bien plus que ce dont elle est consciente. Tout le projet de la psychanalyse repose sur le fait que certains de nos comportements sont ancrés dans des racines profondes dont nous ne sommes que faiblement conscients, voire pas du tout. Pensez à une personne souffrant d'un trouble de la personnalité multiple. Nous avons ici un exemple très frappant de la transformation des consciences subliminales de l'esprit d'un individu en personnalités conscientes distinctes. Dans certains cas, il existe même une personnalité dominante qui est consciente de toutes les autres et qui connaît ce que chacune d'entre elles connaît, mais cette conscience dominante reste, quant à elle inconnue des autres. L'hypnose fournit également une démonstration concrète de la réalité de la conscience subliminale. Comme l'explique Charles Harris, une personne sous hypnose peut être informée de certains faits et se voir ordonner de les oublier lorsqu'elle « se réveille », cependant, écrit Harris : « [...] la connaissance est vraiment dans son esprit et se manifeste de manière indubitable, notamment en lui faisant accomplir [...] certaines actions que, sans la possession de cette connaissance, elle n'aurait pas effectuées [...] ». Certains d'entre vous ont peut-être déjà vu des exemples très amusants de ce phénomène sur la chaîne de télévision TV Guide. Par exemple, un jeune homme hypnotisé qui considère par la suite qu'un simple arbre est une belle fille qu’il doit demander en mariage. Harris poursuit :

« Plus extraordinaire encore, un sujet avec une sensibilité particulière à l’hypnose peut être amené à voir tout en ne voyant pas un objet au même moment. Par exemple, on peut lui dire de ne pas voir un lampadaire, et il devient alors tout à fait incapable de le voir. Néanmoins, il le voit, car il l'évite et ne peut en arriver à se heurter contre lui. »

De même, pendant son incarnation terrestre, Dieu le Fils a permis que seules les facettes de sa personne qui étaient compatibles avec l'expérience humaine classique fassent partie de la conscience éveillée de Jésus, tandis que la majeure partie de ses connaissances, telle un iceberg sous la surface de l'eau, se trouvait submergée dans son subconscient. Selon la théorie que je propose, le Christ est donc une seule personne, mais dans cette personne, les éléments conscients et subconscients sont différenciés d'une manière théologiquement appropriée. Contrairement au nestorianisme, ma proposition n'implique pas qu'il y ait deux personnes, pas plutôt que les aspects conscients et subconscients de votre esprit ne concernent qu’une seule et même personne.

Une description satisfaisante de Jésus en tant qu’homme divin

Une telle théorie fournit une description satisfaisante de Jésus tel que nous le voyons représenté dans les évangiles. Dans son expérience consciente, Jésus a grandi en connaissance et en sagesse, tout comme le fait n’importe quel enfant humain. On ne se retrouve pas face à un Jésus « nourrisson prodige » couché dans une mangeoire et faisant du calcul infinitésimal l’une de ses distractions favorites. Bien au contraire, possédant une conscience humaine classique, Jésus a dû lutter contre la peur, la faiblesse et la tentation pour pouvoir aligner sa volonté sur celle de son Père céleste. Dans son expérience consciente, Jésus a été véritablement tenté, même s'il fut, en fait, incapable de pécher. Les attraits du péché étaient réellement ressentis et ne pouvaient être dissipés comme de la fumée. Résister à la tentation exigeait de la part de Jésus une discipline spirituelle et une détermination morale. Dans sa conscience éveillée, Jésus n’accédait pas à certains faits connus de sa conscience subliminale, bien que de façon surnaturelle il fut tenu à l'écart de toute erreur et fut régulièrement illuminé dans sa conscience éveillée. Bien que Dieu le Fils possède toutes les connaissances sur le monde, de la mécanique quantique à la mécanique automobile, il n'y a aucune raison de penser que Jésus de Nazareth aurait pu, sans recourir à sa conscience divine volontairement non utilisée par sa conscience éveillée, répondre à des questions sur de tels sujets. Il s'était abaissé pour vivre sur terre dans la condition humaine. Dans sa vie consciente, Jésus a également connu toute la gamme des angoisses humaines comme lorsqu’il a ressenti des douleurs physiques ou de la fatigue. Ma proposition préserve également l'intégrité et la sincérité de la vie de prière de Jésus, et elle explique pourquoi Jésus était capable d'être perfectionné par la souffrance. Comme nous, il avait besoin d'être dépendant de son Père à chaque instant pour vivre une vie victorieuse dans un monde déchu ainsi que pour mener à bien la mission que le Père lui avait confiée. Son agonie dans le jardin de Gethsémani n'était pas une mise en scène, elle représentait la véritable lutte du Fils incarné dans sa conscience éveillée. Toutes les objections traditionnelles contre le fait que Dieu le Fils soit l'esprit du Christ se dissipent devant cette conception de l'Incarnation, car nous avons ici un Jésus qui n'est pas uniquement divin, mais qui partage également pleinement la condition humaine.

Est-ce que ma théorie de l'incarnation est vraie ? Rien ne permet de le dire : Dieu seul sait ! Je trouverais présomptueux de prétendre le contraire. Cependant, ce que je prétends, c'est que la théorie que j’ai présentée est à la fois logiquement cohérente et bibliquement fidèle. Il se pourrait donc qu’elle soit vraie. Si elle peut être vraie, elle a le mérite de pouvoir éliminer les objections contre l'incarnation qui sont fondées sur l'affirmation qu’il est contradictoire de dire que Jésus-Christ était à la fois vraiment Dieu et vraiment homme.

Cette théorie peut aussi conduire à une dimension plus profonde. En effet, j’espère qu’elle suscitera une reconnaissance profonde envers Dieu, lorsque les cœurs contempleront cet acte d’abaissement à travers lequel Dieu s’est dépouillé de Lui-même pour atteindre une condition humaine, avec les douleurs, les luttes et les limites qui en découlent, pour notre félicité et notre salut. Paul a écrit : « Car vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui pour vous s'est fait pauvre, de riche qu'il était, afin que par sa pauvreté vous soyez enrichis » (2Co 8:9). C’est cela que nous célébrons à Noël. Les paroles, du célèbre compositeur de cantiques, Charles Wesley le soulignent merveilleusement :

« Voyez Dieu vêtu de chair,

Saluez la Divinité incarnée,

Heureux de vivre en Homme parmi les hommes,

Jésus, notre Emmanuel.

Écoutez ! Les anges messagers chantent

“Gloire au Roi nouveau-né !“ »