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#663 Le défi des religions orientales

January 20, 2020
Q

Cher Dr. Craig,

Récemment, je suis tombée sur deux concepts lors de mon étude des religions orientales qui ont ébranlés toute ma vision du monde. Je les trouve logiquement cohérents mais ils contredisent totalement la vision du monde judéo-chrétienne. J'apprécierais que vous puissiez m'aider.

1. Alors que nous disons que Dieu est sans cause, le moteur immuable, les religions orientales disent que c'est l'âme (le moi universel) qui est le moteur immuable. Nous sommes donc dieu qui a simplement choisi de s'envelopper dans des corps finis temporaires. Je pense que nous pouvons contrer cela en demandant pourquoi l'âme omnisciente ferait-elle cela ? Avez-vous d'autres contre-arguments logiques contre cela ?

2. Le problème suivant est que je viens de réaliser que la philosophie orientale a toujours utilisé la logique polyvalente (logique floue) par opposition à la logique binaire classique acceptée par les penseurs chrétiens occidentaux. Si cela est vrai en particulier avec les principes incertains de la physique quantique, comment pouvons-nous soutenir la loi de non-contradiction lorsque nous affirmons que notre vision du monde est la seule vérité ? Comment Jésus peut-il prétendre être le seul chemin par opposition à Krishna qui a prétendu être le chemin ? Et s'ils avaient tous les deux partiellement raison ? Ces doutes m'inquiètent. Je ne suis pas une personne technique, j'apprécierais donc une réponse claire et non technique. Merci.

Rébecca

Dr. Craig

Dr. craig’s response


A

OK, Rebecca, voici " une réponse claire et non technique" à vos questions ! Si vous voulez une réponse plus précise et approfondie, je recommande fortement le livre  "Oriental Philosophy" de Stuart Hackett (University of Wisconsin Press, 1979). Pour voir comment un philosophe bouddhiste réagit à mes critiques, regardez mon dialogue avec le Dr Sik Fa Ren à l'Université polytechnique de Hong Kong.

1. Il n'est pas vrai que "les religions orientales disent que l'âme (le moi universel) est le moteur immuable". Au contraire, ces religions nient généralement qu'il existe une âme substantielle ou un soi durable. L'âme est illusoire et ne subsiste pas d'un instant à un autre. De plus, la réalité ultime n'est pas un moi personnel qui a décidé de faire quoi que ce soit. L'Absolu est au-delà de toute description et distinction d'aucune sorte et est donc totalement indéfinissable.

En tout cas, si nous imaginons un Dieu personnel qui a "choisi de s'envelopper [lui-même] dans des corps finis temporaires", cela implique que je suis Dieu incarné, conclusion à laquelle je trouve aucune raison de croire et même tout à fait invraisemblable à la lumière de mon évidente finitude, contingence et péché.

2. Ces religions ne préconisent rien de si bénin qu'une logique polyvalente. Les logiques polyvalentes peuvent être utiles, par exemple, dans les circuits électroniques, où un commutateur peut avoir trois positions marquées -1, 0 et +1. Comme vous le mentionnez, certains physiciens ont suggéré d'utiliser une logique multivalente pour caractériser certaines expériences quantiques, bien que cette approche soit généralement considérée comme un échec[1]. Certains philosophes ont préconisé l'utilisation d'une logique trivalente pour décrire des propositions à venir sur les événements contingents, une position que j'ai critiquée dans mon livre "The Only Wise God". Il est loin d'être clair que la logique multivalente s'applique aux valeurs de vérité (par opposition, par exemple, à des positions de commutation), et si l'on souhaite faire une telle application, cela doit être fait dans le cadre de la logique à deux valeurs habituelle.

Les religions orientales dont vous parlez nient plutôt l'application de la logique à la réalité ultime. Comme mentionné, l'Absolu est au-delà de toutes distinctions, donc rien ne peut en être dit à son propos. Il n'est appréhendé que dans l'expérience mystique. Une telle vision est logiquement incohérente. Si rien ne peut être dit de l'Absolu, comment pouvons-nous dire que rien ne peut en être dit de Lui ? Il n'est pas vrai, après tout, que l'Absolu soit au-delà de toute distinction, car cela revient à dire quelque chose de l'Absolu. Donc la position s'auto-réfute. Ainsi, vous aviez tout à fait tort, Rebecca, de dire que ces perspectives orientales sont "logiquement cohérentes". Elles sont par définition logiquement incohérents, car elles renoncent à la logique et en plus s'auto-réfutent.

Quoi qu'il en soit, ce qui devrait être clair, c'est qu'aucune raison ne peut être donnée pour adopter une perspective aussi incohérente. Donner un argument, quel qu'il soit, impliquera de devoir affirmer certaines vérités et utiliser les règles logiques d'inférence pour en tirer des conclusions. Aucune justification ne peut être donnée, par exemple, "la réalité ultime est au-delà de la logique humaine" car cela revient à affirmer une vérité supposée sur la réalité ultime, alors qu'il n'y en aurait pas. Pourquoi voudrait-on adopter une telle vision logiquement incohérente sans aucune raison ?

 


 [1] L'éminent philosophe des sciences Tim Maudlin écrit :

"Le cheval de la logique quantique a été tellement battu, fouetté et matraqué, et est tellement décédé que... la question n'est pas de savoir si le cheval va se relever, c'est: comment diable ce cheval est-il arrivé ici en premier lieu ?  L'histoire de la logique quantique n'est pas l'histoire d'une idée prometteuse qui a mal tourné, c'est plutôt l'histoire de la poursuite implacable d'une mauvaise idée... l'ensemble de l'appareil mathématique [de mécanique quantique] est parfaitement bien décrit, expliqué et compris en utilisant la logique classique. Et bien qu'il y ait des problèmes d'interprétation avec la mécanique quantique qui doivent être affrontés, aucun de ces problèmes ne peut être résolu, ou même amélioré, en rejetant la logique classique" (Tim Maudlin, "The Tale of Quantum Logic", dans Hilary Putnam, édité par Yemima Ben-Menahem (Cambridge: Cambridge University Press, 2005), p. 184-5).

- William Lane Craig